Enfantillages entre innocents damoiseaux [Privé Edward]

Il y avait une fois, dans la forêt, une petite chose qui gambadait en cueillant des fleurs, un panier au bras et un chaperon couleur grenat sur la tête. Non loin de là l'observait le grand méchant loup, caché derrière un arbre, se réjouissant d'avance du banquet qu'il allait pouvoir faire grâce à cet enfant imprudent et quelque grand mère malade, avec en dessert une galette et un petit pot de beurre.

Mais malheureusement pour le canidé, Killian n'était pas aussi candide que le chaperon rouge. Aussi petit, blond, et à l'air innocent, certes. Mais la ressemblance s'arrêtait là. Et le loup, avant vécu une mauvaise expérience par le passé avec le blondinet, durant laquelle celui ci l'avait salement amoché d'un coup de pied agressif, restait sagement caché derrière son arbre, attendant le meilleur moment pour déguerpir loin de ce monstre aux yeux plus bleus que l'eau transparente d'un lagon des îles.

Ce n'étaient pas vraiment des fleurs qu'il cueillait, mais plutôt des fruits et des champignons pour le repas du soir. On était encore au milieu de l'après-midi, et il fallait se dépêcher avant que la nuit tombe, sous peine de se faire taper sur les doigts en rentrant. Et puis quand il faisait sombre, les esprits maléfiques se laissaient enhardir et avaient moins d'hésitation à essayer de mettre fin à ses jours heureux.

Aussi fallait-il se dépêcher et bouger un peu ce joli petit derrière. Chantonnant gaiement, il sautillait d'arbre en arbre, à la recherche de prunes et de poires. Il pourrait peut-être en donner à la pâtissière et avoir un gâteau en échange... Le panier se remplissait peu à peu. Il n'avait pas trouvé de champignons, il aurait fallu un peu plus de pluie ces derniers temps. Lorsqu'enfin il n'y eut plus de place pour la moindre baie, et que le gnome aux cheveux d'or peinait pour traîner son fardeau, il décida de prendre le chemin du village.

La route la plus jolie qu'il pouvait emprunter pour rentrer était celle qui longeait la plage, et un peu plus haut, les falaises. Peut-être qu'il verrait une sirène, comme l'autre fois. Il y avait des tas de choses bizarres qui étaient apparues, depuis l'histoire avec le Baron. En arrivant sur le sable, le gaçon se déchaussa, et enfouit ses pieds dans les grains tiédis par le soleil. Un léger vent agitait ses cheveux, et l'odeur salée de la mer parvint à ses narines. Hm, il aurait bien été tenté de s'allonger et de roupiller un peu. Mais bon.

Depuis quand était-il raisonnable? Ca ne devait pas être une question de prudence, c'était surtout qu'il lui tardait de se jeter amoureusement sur quelque chose de commestible à la maison. Les fruits, c'était bon, mais pas autant qu'une tourte ou un poulet rôti... et puis il s'était gavé de framboises pendant toute sa promenade dans la forêt.

Alors il continuait à marcher, chaussures dans une main et panier dans l'autre, le regard perdu dans les vagues à la recherche de quelque belle jeune femme à queue de poisson et au chant ensorceleur. Il n'en aurait pas pour très longtemps si aucun élément imprévu ne se mettait sur son chemin. Il se remit à chanter, sa douce voix enfantine se mêlant au chuchotis des vagues. Il était un peu en manque d'affection... soupir.

Invité

Notre blondinet préféré se promenait tranquillement, lorsqu'un bruit soudain attira son attention. Pour être précis, c'était un gros “PLOUF”. Il se retourna vivement, ses grands yeux d'azur scrutant la surface de l'eau. De grandes gerbes d'écumes jaillissaient d'un endroit près de la falaise, avec, si on regardait bien, deux bras au milieu, s'agitant en tous sens, et une touffe blonde.

Ah. Hmm. Probablement un malheureux qui s'était un peu trop penché... Killian hésita un instant. D'un côté, il avait ce lourd panier à traîner jusqu'à la maison. Son estomac criait famine; ses pauvres petits membres étaient las après cette après-midi de cueillette intensive. Dieu n'avait pas dit dans ses commandements: tu iras repêcher ton crétin de prochain qui a eu la bonne idée de tomber à la flotte. Et puis, personne ne serait au courant de ce qui s'était passé, n'est-ce pas?

D'un autre côté -certainement la part héroïque du valeureux petit d'homme- sa conscience le taraudait déjà. Laisser se noyer cette pauvre chose non identifiée, seule et dans le froid, ses poumons gorgés d'eau salée -voire même de poissons et de crevettes- tout son corps gonflé et bouffi, qui finirait picoré par les oursins et les pieuvres passant par là. D'autant qu'il imaginait déjà le visage du cadavre, ses lambeaux de chair s'agitant au rythme des courants, le fixant de son orbite vide -l'oeil ayant été arraché sauvagement et avalé par quelque moule agressive alors que le noyé vivait ses derniers instants- et son entrejambe déchiquetée par un barracuda aux tendances sadiques.

Bon, à force de tergiverser intérieurement, ça allait finir au fond de l'eau. Le blondinet poussa un soupir résigné. Il posa ses chausses et son panier de fruits sur le sable, en priant pour qu'on ne lui vole rien, et courut vers le bord de plage le plus proche du misérable. Une grimace tordit ses traits enfantins lorsque les vagues glaciales lui léchèrent les pieds. Il faudrait qu'ils inventent une machine à réchauffer la mer, sérieusement... Hin, chut Killian, Dieu te revaudra ça. Poussant une lamentation digne d'un héros tragique, il plongea, tête la première vers son destin.
Heureusement qu'Alekhsis avait eu la bonne idée de lui apprendre -malgré lui- à nager, ce que très peu de personnes étaient capables de faire à Saint-Thomas; pas même la plupart des marins. Et puis il aurait eu l'air intelligent s'il s'était noyé aussi. Comme quoi ça pouvait toujours servir. La tête de l'adolescent émergea de l'eau, mais... plus de trace de l'homme à sauver. Il battit frénétiquement des bras pour le faire sortir de l'eau; comme s'il allait ressurgir en criant “surpriiise”. Ou du moins montrer trace de sa présence. Mais, apparemment, ça ne marchait pas.

Killian sentit la panique l'envahir. Il n'était pas très loin des rochers, c'en était presque dangereux. Mais il est passé où ce con? Il plongea, ouvrant ses yeux malgré l'inconfortabilité de la situation. En fait, il n'avait pas trop le choix, les sous-marins n'étaient pas encore inventés à cette époque. Et puis mince, quoi, il s'était mouillé exprès, alors maintenant il allait le ramener sur la plage, non mais oh. Non mais dis donc u____u

C'est alors qu'il aperçut une silhouette rouge glissant vers le fond, agitée par les remous de l'eau, mais qui semblait inanimée. Oh, fuck, fuck, fuck -c'est bien de traîner sur le port, on apprend des mots d'anglais avec les marins. Le blondinet nagea vigoureusement vers la chose, grommelant dans sa tête. Il arriva à lui saisir un bras, plus inerte et flasque que celui d'une poupée, pour le tirer vers le haut. Ses poumons commençaient à lui réclamer de l'air, mais il ne pouvait pas laisser là son prochain qui lui en avait certainement plus besoin. Il finit par faire un gros effort, et parvint à se hisser à la surface, avec son fardeau silencieux. Après trente secondes difficiles de nage effrénée, les deux damoiseaux arrivèrent sur la berge.

Ah, mince, il bouge plus. Haletant, Killian enfonça légèrement un doigt dans les côtes du noyé. Pas de réaction. Allez, quoi, fais un effort! Il n'avait pas vraiment eu le temps d'y faire attention, mais c'était un jeune homme, en fait. Un adolescent tout comme lui. Et plutôt mignon, bien que drôlement vêtu.
Soudain, il eut une idée: mettant ses deux mains à plat sur la poitrine de l'inconscient, il appuya un grand coup, ce qui eut pour effet de lui faire cracher de l'eau. Mais il ne respirait toujours pas! Diantre, que faire? Une seule solution s'imposait... pauvre innocent garçon... si jeune...

Killian se pencha en avant, pinçant le nez de la victime, et posa délicatement sa bouche sur la sienne, pour lui insuffler la vie (en espérant très fort qu'il n'était pas en train d'embrasser un cadavre).