[Scénario] Elémentaire mon cher Emy !

[ Killian - Emeliathys - Aymar ]

Deux pièces d'or dans sa main, deux précieux petits bouts de métal dont une partie se transformerait bientôt en un somptueux repas à leur éclater la panse. Ils pouvaient bien se le permettre, après n'avoir quasiment rien avalé depuis trois jours. Mendier n'était pas une activité très lucrative...
Cet argent n'avait pas atterri là par magie ni par une quelconque bienveillance de Dame Fortune : ils avaient une mission. Une mission, telle qu'ils l'avaient acceptée, de la plus haute importance !

Killian aimait à se rappeler les paroles de leur employeur, il avait l'impression d'avoir acquis un certain prestige. En fait, il ne se doutait même pas que celui-ci profitait de leur statut social misérable pour les sous-payer. Et personne ne les regretterait s'ils venaient à disparaître.
Quoiqu'il en fut, le rôle du jeune homme aux cheveux blonds et de son compagnon canin était d'enquêter à propos d'une disparition mystérieuse, ainsi que d'un endroit suspect d'après certaines sources. Ils empocheraient le double de la somme une fois selon les informations rapportées; à savoir, principalement, l'identité des criminels ou leur lieu de résidence.

Et c'était reparti pour l'aventure. Marchant d'un bon pas à travers le quartier riche, un Killian tout de neuf vêtu admirait les façades des différents palais accolés les uns aux autres, qui abritaient les différentes familles nobles. Un monde bien loin de lui appartenir.
Connaissant à peine les lieux -et ne faisant guère confiance au sens de l'orientation de notre jeune exorciste- mieux valait effectuer quelques innocentes promenades de repérage autour de ce pernicieux endroit, situé au coeur d'un bâtiment dont la fonction n'était pas encore identifiée. Il aurait pu s'agir d'un atelier d'artisan tout autant que d'une bâtisse familiale ou un entrepôt, une réserve de marchandises. Une telle construction n'aurait pas fait tâche dans les bas quartiers mais elle était étrangement mise en valeur au sein d'un quartier comme celui-ci où les nantis se plaisaient comme des mauvaises herbes dans un jardin propre.

-J'espère que les brigands ne seront pas dedans...

Killian promenait son regard de ciel sur la façade blanchie à la chaux. Peut-être que la porte serait fermée à clé. Peut-être que c'était un piège. Peut-être qu'ils allaient tous mourir dans d'atroces souffrances. Heureusement, il sentait la froide lame d'un poignard -dont il ne savait pas se servir- contre sa cuisse, et la rassurante bosse de sa flûte dans sa poche.
Il regarda alors son compagnon qui peut-être savait mieux que lui s'y prendre dans une telle situation :

-Tu crois qu'on peut rentrer comme ça ?

Invité

Deux pièces d'or, c'est pas grand chose. Surtout pour deux personnes. Et pourtant, il me semble que Killian sautille plus qu'il ne marche depuis qu'il les a reçue de notre employeur du moment. On se fait arnaquer mais là, on a vraiment besoin de cet argent. Donc je n'ai rien dit pour une fois. En plus, Killian ne s'en rend même pas compte. Si le même type nous emploie encore, il aura intérêt à avoir un prix plus attractif. Sinon, j'attrape le Marchand de Sable par la manche et on va voir ailleurs. Parce que je suis sûr et certain qu'on pourrait trouver un boulot moins dangereux et mieux payé que ça.

Donc, nous sommes dans le quartier riche, devant une bâtisse à l'air plus fonctionnel qu'autre chose. Killian lâche qu'il espère que les brigands ne seront pas à l'intérieur. Honnêtement, je pense pas que ça serve à ça. Après tout, ça serait un peu trop évident. Il me demande si on peut entrer comme ça et je le regarde en dressant les oreilles. A vrai dire, je n'en sais rien. J'avance un peu puis m'arrête, attendant que Killian me suive. Personne devant la porte. Je me dresse sur mes pattes arrières pour appuyer sur la poignée, et la porte s'ouvre sans rechigner. Je passe ma tête et renifle. Il y a eut pas mal de passage, mais il me semble qu'il n'y a qu'une seule personne. Je pousse la porte pour l'ouvrir plus grand et remue la queue pour signaler que tout va bien. A première vue, c'est l'atelier d'un tailleur ou quelque chose du genre. Il y a plein de tissus tendus pour qu'ils se défroissent, d'autres en rouleaux sur des étagères. Il va falloir que je reste en retrait, si on rencontre le propriétaire. Je n'ai aucune envie de me faire mettre dehors!

César -le chien- ne semblait pas plus effrayé que cela par l'hypothèse de l'embuscade, et la prudence ce jour-là était donnée à Killian. Ce qui n'était pas forcément une bonne chose. Notre cher marchand de sable s'avança à pas de loup à la suite de l'animal qui semblait encore en un seul morceau. La porte poussée dévoila une pièce très sombre, dans laquelle reposaient sagement des dizaines de rouleaux de tissus adossés aux murs ou sur des étagères. Tout cela ressemblait fortement à l'atelier d'un tisseur mais le blond ne trouva pas son outil de travail en ces lieux. Peut-être ce bourgeois récupérait-il des étoffes rares pour les revendre ensuite.
Un pas après l'autre, oubliant le chien qui lui s'était arrêté, le jeune homme s'aventura plus profondément dans cette demeure mystérieuse soupçonnée de bien des crimes. Il était excité par ce nouveau défi qu'on lui avait lancé, mais absolument pas effrayé. Quand on est exorciste de métier, on en a déjà vu de toutes les couleurs.

A droite ? Une table, des papiers bien rangés, une paire de ciseaux -arme de crime ?-, des mètres mesureurs. A gauche ? Une silhouette, là ! Non, ce n'est qu'un mannequin aux airs de poupée qui tend silencieusement son bras vers les intrus comme pour les désigner, ses yeux blancs perdus droit devant lui.

Devant, une porte close n'attendait que Killian, qui ne songeait pas plus à examiner la pièce, bien trop curieux pour s'arrêter en si bon chemin. Et si les brigands se trouvaient là, à quelques mètres derrière cette cloison de bois ? Et bien... et bien on n'en était pas encore là. Le flot d'interrogations fut rangé dans un coin de sa tête au profit de réflexions plus techniques. La porte était fermée à clé.

-Qu'est-ce que tu sens, César ? Ça sent le grand méchant malfaiteur, ou l'honnête tisserand ?

Ceci était une tentative d'humour. Non, Killian n'était pas atteint au point d'affirmer que les gens avaient une odeur spécifique à leur état de conscience -du moins pas en ce moment. Mais déceler des odeurs pouvait se révéler utile pour l'enquête. De la poudre, par exemple, pour des explosifs ? Du sang ?
De son côté, il décida de partir à la recherche d'une clé, bien qu'il doutât qu'elle fut posée en évidence quelque part. Sinon, on allait devoir se débrouiller avec les moyens du bord. Il finit par attraper la paire de ciseaux et en enfoncer la pointe dans la serrure en essayant maladroitement de faire retentir le clic libérateur, mais cela ne semblait pas avoir beaucoup d'effet. Où en était Emy de son côté ? Il demanda à voix basse d'un ton conspirateur :

-Tu trouves des choses suspectes ?

Le marchand de sable s'était pris au jeu.

Il avait remué toute cette histoire dans sa tête pendant des jours et des jours. Le loup ne lui avait pas donné de réponses satisfaisantes avant sa fin précoce. Comment savoir alors s’il avait été envoyé par quelqu’un à sa recherche ou si leur rencontre n’était que le fruit du hasard ? Il ne pouvait décemment pas croire les paroles de cette créature et n’avait pour tout indice, qu’une adresse dans le quartier riche d’Abellion. Retourner là-bas l’angoissait. C’était, à ses yeux, du suicide, et sa lâcheté ne pouvait se résoudre à se jeter à corps perdu dans la gueule du loup !

Pourtant, cette stupide adresse trottait joyeusement dans son esprit, visiblement bien décidée à ne pas en sortir. Que pouvait-il y avoir là bas ?

Après avoir retourné la question sous toutes ses coutures pour la cinquante millième fois au moins, Florentin se décida à agir. Cette histoire allait le rendre fou ! Le noble déchu se résigna à fouiller dans ses maigres affaires pour y dénicher une jolie cape bleu nuit brodé de fils d’argent. Il y avait fort longtemps qu’il ne l’avait pas porté. L’étoffe entourant son corps, il enfila un masque de tissus sombre pour couvrir le haut de son visage. Cela pouvait paraître étrange à Saint Thomas, mais à Abellion, cela passerait comme comptant parmi les excentricités d’un jeune noble.

Arrivé dans les quartiers riches, Florentin se repéra facilement, évitant soigneusement les rues trop fréquentées. Il réussit à se faufiler ainsi jusqu’à l’entrepôt désigné. La bâtisse ne lui disait rien qui vaille. Tout cet endroit, cette ville elle-même, lui donnait la nausée. La derrière les fenêtres de cette demeure-ci, pouvait très bien se trouver l’un des responsables du meurtre de sa famille. Eux vivaient dans l’opulence et les grâces du prince, lui, devait à tout prix se cacher et se terrait comme un rat sur un paquebot.
Il dut se faire violence pour ne pas s’enfuir lorsqu’une petite fille le bouscula par mégarde. Ce fut néanmoins ce qui le décida à pénétrer dans le bâtiment. Il valait mieux pour lui être entre quatre murs, qu’exposé à la vue de tous. Il ouvrit donc la porte à la volée et la referma brusquement, se coupant du monde. Il soupira longuement. Quel soulagement !

Mais lorsqu’il se retourna, son cœur manqua un battement. Un homme… Un homme était là avec son chien. Les yeux du noble s’écarquillèrent sous la surprise mais il se reprit bien vite. Il se racla la gorge bruyamment et tenta de maintenir son corps dans une posture altière qui le mit vite mal à l’aise. Il balaya la pièce du regard. Il lui fallait vite trouver une raison d’être là. Et un prétexte bien plus valable que « j’ai vu de la lumière alors je suis entré ». Et il en trouva un…

« Je suis venu pour une nouvelle….cape…. »

Son manque d’assurance le trahissait malgré tout.

[Hellow *.*]

La porte venait d'être refermée brusquement. Peut-être qu'Emy avait pris peur et s'était enfui ? Sans sortir la pointe des ciseaux de la serrure, il se retourna... et laissa échapper une exclamation de surprise. Plus de trace de son chien. A la place, c'était un type avec un masque qui se tenait de la façon qu'ont les riches d'imposer leur présence.

-... César ? murmura-t'il d'une voix étranglée.

Est-ce que ce chien lui avait fait une farce ? Est-ce qu'il avait une troisième apparence qu'il lui avait toujours cachée ? Mais la chose n'avait pas entendu et semblait tout de même aussi surprise que lui ; elle se racla la gorge et engagea la conversation. Ce n'était pas Emy. Ce n'était pas Emy du tout.

Et pourquoi est-ce qu'il lui demandait une cape, à lui, un blond assis par terre, l'air ébahi, et tenant des ciseaux plantés dans la serrure d'une porte ? Pas le moins suspect du monde.

-Aaah eeeuh... -histoire de dire quelque chose-

Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien lui raconter ? La vérité, pour le moment, ne nuirait pas :

-Le propriétaire est absent pour le moment, il faudra repasser plus tard !

Il émit un petit rire gêné en cherchant des yeux le soutien moral de son compagnon -officiellement simple animal- mais ce foutu cabot demeurait introuvable. Caché dans un coin peut-être... tu parles d'un ami.

Restons positifs : ce n'était pas le propriétaire des lieux. Et avec un peu de chance, il allait sagement retourner chez lui sans faire d'histoires et Killian pourrait continuer sa mission. Allez, va-t'en vite !

César ? Florentin haussa un sourcil. C’était qui César ? Son animal de compagnie ? Il y avait-il une autre personne dans cette pièce ? Par mesure de précaution, il balaya les lieux du regard et fut soulagé de n’y trouver personne.

Florentin observa le jeune homme. Lorsque celui-ci annonça que le propriétaire était absent, le noble fronça les sourcils. Alors qu’est ce qu’il fichait là lui, assis par terre avec sa paire de ciseau dans la serrure ? Affichant un sourire aimable et courtois, vestiges d’une bonne éducation et d’une époque révolue, Florentin prit le parti d’user de ses qualités d’orateur pour s’exprimer avec calme et noblesse, tout en marquant ses propos d’une curiosité appuyée.

« Ah et vous êtes ? » Il laissa planer un léger silence. « Non parce qu’il est évident que vous devez être son assistant et que vous avez par malheur égarer les clés de votre maître, n’est ce pas ? »

Mais bien sûr, même lui n’y croyait pas. Il ne savait pas ce que ce garçon faisait ici, il ne savait pas s’il était un allié ou un ennemi bien sûr. Mais il savait une chose. Il devait rester ici pour trouver des indices, et, s’il avait de la chance, des réponses à ses questions. Et ce jeune homme ne l’en empêcherait pas, peu importe ce qu’il faudrait faire pour le mettre hors d’état de nuire.

« Quel malpoli je fais, pardonnez-moi! » Annonça-t-il en souriant. « Je m’appelle Ludwig Chevalier, je suis un habitué des lieux.»

Il n’y avait plus qu’à espérer que cette petite tête blonde n’aurait pas l’audace de froisser un pseudo client en allant vérifier dans les registrer. Florentin pour sa part avait enfilé son masque sombre. Calculateur et sur ses gardes, il ne cachait qu’à moitié ses véritables intentions et laissait planer le doute quand à la véritable raison de sa venue ici. Tout en lui, le ton de sa voix, son sourire étrange, son regard perçant, son attitude, murmurait insidieusement « je sais que tu n’es pas ce que tu prétends. ». Il ne se montrait pas agressif pour autant, il restait simplement sur ses gardes pour l’instant, cherchant à dominer la situation.

« Je peux peut-être vous aider ? »

Etait-ce vraiment une question ?

Ben mince alors. Il n'avait absolument pas l'air de vouloir s'en aller. Nom d'un hippopotame hyperactif. Mais comment pouvait-il remplir sa mission dans ces conditions, hein ? Surtout qu'Emy s'était fait la malle, et Emy, c'était celui qui prenait les décisions intelligentes, et c'était surtout celui qui savait se battre. La situation commençait à dériver de manière peu rassurante.

Néanmoins, un hasard conciliant jugea bon de s'en mêler... Ou alors c'est ce noble qui décida de montrer un peu de pitié : alors qu'il cherchait désespérément un mensonge crédible pour se construire une nouvelle identité, celle-ci lui fut fournie gratuitement par le nouvel arrivant.

-Eeeuh oui c'est ça ! Le nouvel assistant... je suis le nouvel assistant.

Hahaha. Hum. Respire. D'accord, ça sonnait complètement faux. Mais s'il y croyait, ou s'il faisait semblant d'y croire, cela reviendrait au même, et tout le monde serait content.
Il laissa parler l'intrus en se demandant comment il pourrait bien le mettre à la porte. Se mettre à hurler en courant dans tous les sens : “AU FEUU !” ? Ca risquait tout de même d'attirer l'attention.

Killian se releva dignement, épousseta ses vêtements et s'inclina face au jeune homme masqué.

-Bonjour Messire Chevalier. C'est très gentil mais je vais me débrouiller tout seul... et puis la boutique est fermée, j'ai des choses à régler derrière. Vous pourrez certainement revenir demain ?

Comme il disait ces paroles, il s'était approché bravement de lui, pour passer son bras dans son dos et lui faire faire demi-tour vers la sortie. Tout en douceur.

-Je suis désolé, si vous me donnez votre adresse nous pourrons certainement envoyer quelqu'un prendre votre commande. Merci beaucoup et à bientôt !

Voilà, comme ça il aurait un peu plus l'air d'un assistant débordé de travail. Hop là, vers la porte, et on n'en parlerait plus ! Quelle vie on mène, tout de même...

-ou comment se débarrasser d'un Florentin en trois leçons xD-

Le nouvel assistant bah voyons ! Et la marmotte… Florentin lui offrit un magnifique sourire. Il était carnassier. Le noble déchu savait maintenant, que ce jeune garçon n’était pas, mais alors pas du tout, ce qu’il prétendait être. Et ça, c’était bon pour ses affaires. S’arranger avec le véritable assistant aurait été difficile, s’arranger avec quelqu’un qui n’avait rien à faire ici était beaucoup plus aisé. Il suffisait juste de savoir ce qu’il fichait ici. Mimant une entente parfaite qui laissait supposer qu’il avait compris ce petit jeu, il répliqua :

- Bien entendu.

Tout se passait alors pour le mieux. Tout aurait pu continuer ainsi d’ailleurs si ce sale gosse n’en avait pas décidé autrement. Surpris par tant d’audace et de manque de savoir vivre envers un noble, il se laissa faire dans un premier temps. Mais bientôt, il fit demi-tour et fixa avec animosité son vis à vis. Non mais oh, où se croyait-il celui là ? Au pays des bisounours ?
Comment un simple assistant pouvait-il se permettre de toucher un noble de cette façon ? A coup sûr, il ne connaissait rien aux usages de la société. Serrant les dents, il reprit la parole d’un ton polie, qui dissimulait une menace sous-jacente.

- Malheureusement je pars en voyage d’affaire dès demain ! Quelle dommage, mais vous pouvez sûrement prendre ma commande n’est ce pas ?

Florentin plissait les yeux à présent, fatigué de ce petit jeu, frustré d’avoir été poussé de cette manière si peu convenable, et surtout agacé par le manque de bonne volonté de ce garçon. Encore un peu et il allait devoir mettre les pieds dans le plat ! Ce dont il n’avait pas particulièrement envie.
Il retourna donc sur ses pas et alla de placer près de la porte de derrière.

- Je voudrais voir les étoffes pour pouvoir faire mon choix et si par malheur monsieur l’assistant refusait de servir un client ce serait très mauvais pour lui.

Maintenant il était clairement menaçant, mais il ajouta avec un sourire.

- Vous comprenez que je ne voudrais pas vous faire perdre votre travail pour un manque de savoir-vivre ! Passons donc derrière.

Il s’empêcha d’ajouter un « si vous le voulez bien ». Ce serait inexact d’ailleurs. Qu’il le veuille ou non, Florentin irait voir ce qui se cachait derrière cette fichue porte, il saurait qui avait envoyé le loup et s’il devait se sentir menacé par quelqu’un. Et si ce gamin ne comprenait pas qu’il ne plaisantait plus, il allait devoir abattre d’autres cartes.

- Allons, on n’a pas toute la journée !

Cochonnerie de noble à la noix !!! Mais pourquoi est-ce qu'il ne voulait pas partir ?! Et puis... voilà qu'il semblait s'amuser à le mettre mal à l'aise... chouette, encore un sadique. Killian avait reculé de quelques pas face à la rébellion de ce jeune homme masqué qui était devenu impérieux.

Passer derrière... Seulement, il ne savait absolument pas ce qui se trouvait derrière cette fichue porte, et il imaginait déjà tout un tas de membres sanguinolents entassés dans un coin. Quoique l'odeur les aurait certainement avertis d'office. Quoiqu'il en soit, si cet endroit n'était pas l'entrepot d'un tisserand, il recelait certainement des preuves et des indications importantes concernant ce dont lui avait parlé son employeur. Et toutes ces choses, il valait mieux éviter que ne les découvre ce si pressant visiteur.
Killian prit une inspiration :

-Je, euh... je n'ai pas la clé.

Le mettre à la porte était maintenant exclu. Il allait s'énerver, et peut-être ramener sa milice privée. Voire même vouloir se battre. Une idée germa dans l'esprit de Killian : il fallait le mettre hors d'état de nuire, c'est à dire l'assommer puis l'attacher dans un coin ! Et comme ça, il pourrait continuer tranquillement. Et ils se marieraient et auraient beaucoup d'enfants.
Il se força à respirer calmement en regardant autour de lui à la recherche de quelque chose comme un bâton, mais rien ne se présenta à sa vue. Et comme les secondes passaient et que le sire Chevalier l'attendait près de la porte, il ne put que le rejoindre et reprendre ses ciseaux d'un air piteux...

-Ca ne veut pas s'ouvrir, je ne peux rien faire.

Il se redressa et repartit en marchant dans la pièce, cherchant avec frénésie quelque chose qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un gourdin. Et la clé, accessoirement. Ca pouvait toujours servir.

-Elle doit bien être quelque part...

Il était conscient de l'absurdité de la situation et cela ne l'en gênait que plus. Il avait l'impression d'être une marionnette sur une scène de théâtre, forcé à jouer par ce type au masque. Cette insistance commençait à devenir curieuse, mais l'apprenti exorciste n'envisageait pas la possibilité qu'ils fussent deux à jouer un rôle. Non, il était bien trop naturel. Hautain. Habitué à être obéi.

Killian refit trois fois le tour de la petite salle sans rien dénicher. La première fois qu'il repassa devant le mannequin, il fit presque un bond en arrière, car il était dans un état de nervosité avancée.
Mais où était Emy, nom d'un chien ?!

[Allez, aux feignasses de riches d'agir, un peu *.*]

Il leva les yeux au ciel et poussa un long soupir exaspéré :

- Ca je l’aurais deviné !

Evidemment que ce gosse n’avait pas la clé puisqu’il ne travaillait de toute évidence pas ici. N’empêche, cela aurait été bien pratique. D’un geste agacé, il prit les ciseaux et s’agenouilla devant la porte. Il n’avait aucune colère contre le garçon présent, au moins ce-dernier le laissait faire ce qu’il avait à faire. Florentin s’acharna donc plusieurs minutes sur cette idiote de serrure qui refusait de céder. Clic Clic. Ah ? Non… Ce n’était que le bruit des métaux qui s’entrechoquait.

De colère, le jeune homme frappa la porte de la paume de sa main. Bien, puisque cela ne voulait pas s’ouvrir… Il se releva et leva les bras au ciel. Son rôle lui allait bien. Il prit un air franchement outré et s’exclama :

- Par l’enfer, mais ne pouviez vous pas faire votre travail correctement ?!

Etre assistant et trouver la clé ou bien… Florentin sourit, amusé, s’éloigna de quelque pas et donna un violent coup de pieds dans la serrure. La porte grinça, s’agita, mais ne céda point à cet odieux chantage. Il agrémenta donc sa tactique de violente menaces verbales :

- Ouvre toi, saleté de *s*%$£$* !

Passons sur ce langage outrancier qui ne sied guère à une personne de son rang. Le jeune homme s’acharna sur sa victime qui dut bientôt s’effondrer. Florentin réajusta sa cape et se tourna vers l’assistant, prenant soudainement conscience qu’il n’avait peut-être pas si bien joué son rôle que ça. Il eut un geste de la main emprunt d’insolence et de détachement et lui dit :

- Vous retirez ça de votre salaire, après tout, vous n’aviez qu’à ne pas perdre la clé !

Et vlan ! Voilà que Monsieur n’hésitait pas à entrer pour observer les lieux. L’endroit était peut-être vide mais il n’avait rien de rassurant. Divers coffres et étagères, une table ronde en son centre, un escalier au fond à gauche, et des tas de papiers qui trainaient.

- Et bien que voilà donc..

Faisant fi de son partenaire, il s’approcha de la table pour jeter un œil aux documents abandonnés.

Lorsque cet impromptu fruit de carnaval commença à s'acharner lui-même sur la porte, Killian déglutit avec peine. Ben ça, il y tenait vraiment, à sa cape.
Toujours pas de gourdin, toujours pas de clé, et cette espèce de noble hystérique qui tapait sur la serrure... Son bon vieux monde lui manquait sérieusement. C'était un pays de fous, Agnosia, un pays de fous !

Un pas en arrière. Et finalement, grâce au talent et au pouvoir de conviction de cet illustre inconnu, la porte finit par céder. Si l'on considérait les choses sous cet angle, sa présence avait au moins eu cet avantage. Mais, qu'allait-il se passer si, comme l'avait deviné son employeur, cet entrepôt de tisserand n'était pas un entrepôt de tisserand ? Il ne pourrait dire : “Saperlipopette, je ne comprends pas, mais où sont donc passés les rouleaux et les tissus ?” ni quoi que ce soit d'autre sans perdre toute crédibilité. Enfin, il n'eut pas le temps de se poser plus de question ni d'appréhender la suite, puisque Sire Chevalier était déjà entré sans attendre son humble avis.

Évidemment, pas un seul mètre à mesurer ni quoi que ce soit qui puisse s'apparenter à un matériel d'artisan. Non, c'était une pièce de taille moyenne, sans cadavres, sans traces de sang sur les murs, sans amas d'entrailles joyeusement entortillées dans un coin. Il y avait cependant une table avec des papiers, quelques étagères et autres meubles de rangement.
L'invité surprise ne parut pourtant pas décontenancé par l'état des lieux. Pas du tout, même. Bon, ce n'était pas tout, mais il était en train de mettre la main sur des papiers qu'il aurait peut-être été bon de trouver avant lui. Aussi Killian s'approcha-t-il vivement de la table et tenta de lire ce qu'il était écrit, mais c'était difficile car il maîtrisait à peine l'écriture Abellinoise.

Une liste de noms... un plan dessiné grossièrement à la main... une liste de courses ? Des adresses... Tout un ramassis de choses diverses et variées, dont il ne comprenait qu'une partie.

Comment savoir ce qui avait de l'importance ou non ? Trouve des preuves. Des informations. Des noms. Mais les noms sur cette feuille n'étaient certainement pas ceux des malfaiteurs. Des informations, alors ? Il ne pouvait pas simplement tout prendre et s'enfuir, alors qu'il n'avait pas encore exploré le reste de la bâtisse. Il leva alors les yeux vers son compagnon... et leva un sourcil. Celui-ci n'avait pas l'air plus déçu que cela de ne pas trouver d'étoffes dans cet antre mystérieux. Non, il paraissait plutôt occupé à lire les documents. Son statut de client était sérieusement remis en cause.

Redoutant de faire une bêtise, le jeune blond ne fit pas de commentaire et se dirigea vers un des coffres pour en examiner le contenu. C'était une belle gamme de dossiers et de parchemins, entassés les uns sur les autres dans un ordre qui échappait totalement à sa logique personnelle. Rien d'intéressant au premier abord. Il se dirigea vers un second coffre, qui cette fois s'avéra plus intéressant : un joli petit paquet d'ustensiles à tuer reposait sagement en l'attente d'accomplir leur sinistre office. Une épée courte, plusieurs poignards, des dagues et des couteaux (oui, ce n'est pas la même chose).

Hum hum hum.

Killian se retourna pour étudier l'attitude de Ludwig, mais celui-ci semblait absorbé par les papiers. Allons donc. S'il était ici, cela signifiait certainement que lui aussi enquêtait sur les brigands possesseurs des lieux. Ce qui en soi pouvait signifier qu'il était l'ennemi de ses ennemis, et donc potentiellement son ami. Mais mieux valait pour le moment ne pas agir sans connaître son but véritable. En tous cas, une discussion allait devoir s'imposer. Le jeu du vendeur et du client était terminé.

Comment aborder le sujet... ? … … sans risquer sa vie ?

-Hum... vous cherchez quoi exactement ? Un papier ?

Wahou, Killian t'es trop subtil *.* Bon, au pire, il y avait les lames à portée de ses petites mains tremblantes.

-Parce que, hm... y'en a plein dans ce coffre.

Regarde, je t'aide, je suis ton keupin.
Notre grand et courageux aventurier n'avait toujours pas abordé le vrai problème, mais cela avait été une tentative de pacification tout à fait honorable. Ensuite, on pourrait en venir aux choses sérieuses, et lui demander ce qu'il savait des vrais propriétaires des lieux. On progressait doucement mais sûrement !

Sur le papier, des noms, une grande liste de noms qu’il étudia scrupuleusement. Certains lui étaient familiers, d’autres totalement étrangers. Il pensait avoir mis le doigt sur quelques chose lorsqu’en bas, en plus petit, il lut : « liste des clients ». Les chiffres et les initiales postés à côté des noms prirent alors tout leur sens. L’un indiquait le prix, l’autre la commande. C pour cape, T tunique. Malgré tout, il chercha si cela ne pouvait être une sorte de code. Bon, t pour trucider d’accord mais C ? C pour copiner ? Non, il n’y croyait pas trop.

L’assistant imposteur s’adressa alors à lui. Florentin releva la tête et plissa les yeux, évaluant les risques qu’il encourrait. Il hocha rapidement la tête pour le remercier et se dirigea vers le coffre. Un fois arrivé près du jeune homme, il se saisit de quelques documents et les parcourut des yeux. Les premiers ne lui apprirent pas grand chose de plus.

- Des informations, des choses et d’autres…

Bon si ce gamin n’avait pas la clé, c’était sans doute qu’il fichait lui aussi son nez là où il ne fallait pas. Cela ne faisait pas de lui un allié, mais il n’était donc pas un ennemi. Florentin opta donc pour un partage partiel des informations et il ajouta :

- J’ai fait une mauvaise rencontre et l’adresse était dans la poche de mon agresseur.

Il s’abstint de préciser où était désormais ledit agresseur. Le jeune noble laissa tomber les papiers déjà lus sur le sol sans aucune gêne. De toute façon, vu la manière dont il avait traitée la porte, c’était fichu pour le côté discret de cette petite excursion. Poursuivant sa lecture, il demanda :

- Et toi ? Qu’est ce que tu veux ? Comme tu as pu le remarquer il n’y a pas de rouleaux ici.. Tiens..

Florentin plissa les yeux. Il venait de tomber sur une liste de nom dont certains avaient été barrées. Il vérifia rapidement si le sien s’y trouvait mais non, par chance on devait sans doute encore le penser mort. Il tendit le document au jeune homme.

- Ca t’aide?

Il poursuivit ensuite ses recherches et tomba sur un paquet de lettres ficelées. Il tira sa dague de dessous sa cape et coupa la cordelette qui les maintenait réunies. Il observa le sceau apposé mais celui-ci ne lui rappela rien. Ce qui pouvait signifier trois choses, soit que ces hommes conversaient avec un nouveau noble de la région, soit que la noble se trouvait assez loin de la ville pour que Florentin n’ai jamais eu connaissance de son existence, soit, que le noble utilisait un cachet spécial qui lui permettait de ne pas être reconnu. Astucieux procédés. Il ne faut jamais laisser de trace.

Florentin ouvrit la première lettre et la tendit à son… son quoi ? compagnon pas circonstances ?

[Hop là, désolée du retard et de la qualité peu satisfaisante uu']

Notre charmant damoiseau avait reculé d'un pas, dansant d'un pied sur l'autre, avec l'air de ne savoir que faire de sa peau. Son regard de ciel se promenait tour à tour sur la pièce comme s'il s'attendait à voir soudainement débarquer une horde de brigands armés jusqu'aux dents, puis sur les papiers qui reposaient au fond de la malle, et enfin sur son collègue dont le but semblait être similaire au sien. Des informations...

Il semblait disposé à parler, et d'une manière courtoise qui plus est. Aussi le blond s'empressa-t-il de lui répondre, muni de toute la bonne volonté du monde afin de tisser des liens -la tension qui se relâchait doucement avait eu un drôle d'effet sur ses nerfs, il se sentait plein d'amour à dispenser- :

-J'ai été envoyé pour trouver des informations sur un de leurs employeurs.

Ses yeux se plissèrent légèrement à la funeste évocation des habitants des lieux. Pourvu qu'il ne les rencontre jamais. Mais il lui fallait un nom. Une adresse. Alors, ma foi... cherchons !

Le suppôt de Polichinelle lui tendit alors le document qu'il venait d'étudier. Une liste, encore. Des noms. Des noms barrés. Des noms qui avaient tous certainement un lien entre eux. Killian n'était pas à même de le déceler, cependant celui qui le payait pourrait mieux s'y prendre. Et s'il s'agissait d'une liste de courses en langage codé, et bien, il aurait au moins essayé.

-Je pense que ça peut servir. Merci.

Il plia en quatre le papier parcheminé avant de le glisser dans une de ses nombreuses poches. Il se pencha alors pour attraper des papiers au hasard afin d'en survoler le contenu. Certains étaient vierges. Il les scruta attentivement à travers la lumière qui émanait d'un vitrail haut perché : pas d'encre sympathique. Un procédé magique ? Ou du simple papier neuf ? Peut-être qu'il se torturait le cerveau pour pas grand chose. Les documents jugés inutiles échurent sur le sol jusqu'à bientôt former une pile. Et tout à coup, il tomba en arrêt devant un feuillet. Un feuillet comme les autres. Mais son attention avait été accrochée par une phrase :

“Vous prendrez contact avec le Loup pour -un mot qu'il ne connaissait pas- et Lucius vous transmettra les coordonnées. Qui vous savez devient un peu encombrant. Pensez à faire taire également...”

Une autre liste de noms, très courte. Faire taire, c'était une jolie métaphore. Il examina consciencieusement la chose avant de la donner au chevalier, lequel en échange lui tendit une lettre. Et bien, les affaires semblaient s'arranger entre ces deux-là.

La lettre était faite d'une écriture penchée que Killian avait beaucoup de mal à déchiffrer. Ces recherches rapides étaient peu efficaces... Tout à coup, il eut une idée lumineuse.

-Je propose que nous emportions la malle pour avoir le temps de tout éplucher plus à l'aise, si cela vous convient.

Il laissa tomber la lettre dans le tas et jeta un coup d'œil à l'escalier, sombre, peu engageant. Une partie du bâtiment restait encore à explorer... qu'allaient-ils y trouver ? Peut-être était-ce là-haut qu'avaient caché les malfaiteurs leurs vieux tas d'organes et de boyaux sanguinolents. Il réprima la délicate sensation d'effroi qui lui crispait les jambes, résolu d'avancer vers l'inévitable... et disparut dans l'ombre.